Au pays du matin clair, le papier coréen, Hanji, est une institution. D’une remarquable résistance, il s’adapte à toutes les circonstances, sert de support à la gaze transparente des bannières bouddhiques du 18ème siècle, permet la réalisation d’objets dans les trois dimensions ou sert simplement à la confection de livres, dans un pays qui connaît l’imprimerie depuis le 15ème siècle. Papier de mûrier, il a sa matière propre, une structure bien à lui, et les différents types laissent plus ou moins visibles les particules végétales et les copeaux de bois, au point de créer un véritable tableau d’une abstraction à la fois raffinée et sauvage. Dès la période Koryo (10ème – 14ème siècle), à l’époque où s’épanouit le céladon typiquement coréen, le royaume est connu pour la qualité du papier, un papier hautement prisé par ses contemporains chinois. En témoignent les nombreux manuscrits enluminés à l’encre d’or sur fond de couleur indigo. Sous la période Choson (14ème – 20ème siècle), le papier sert à tous les usages, de la peinture aux objets de la vie quotidienne – tables basses, coffres ou boîtes de format très divers, voire même coupes et tasses qui peuvent recevoir un liquide après imperméabilisation du papier. Du fait de son élasticité et de sa robustesse, il sert à tapisser les murs, le sol et le plafond des maisons coréennes, et sa combinaison avec la construction de bois est un repos pour l’âme, et pour les yeux, donnant une chaleur naturelle à la pièce, un côté à la fois apaisant et abstrait, suggérant un espace à la fois vivant, conceptuel et mental, d’une extrême douceur – le papier se retrouvant partout, sur les portes coulissantes du palais, ou encore les fenêtres de la simple chaumière, malgré la rudesse de l’hiver.
Nombre d’artistes se sont pris aujourd’hui d’un intérêt réel pour ce médium, aux qualités si riches et si variées, qu’ils soient Coréens ou bien Occidentaux, le papier pouvant servir de support à tous les jeux de l’encre ou bien de la couleur, même s’il est déjà en lui-même un univers en soi de par l’aspect de sa surface et de sa transparence, une transparence qui laisse passer la lumière d’une manière diffuse, ouatée, de façon assourdie, une transparence qui ajoute à l’éclat d’une bougie une poésie réelle, un charme nostalgique. Mais, l’extrême souplesse du papier et sa plasticité permettent aussi une approche différente, riche de développements souvent inattendus, comme l’a montré Kim Sang-lan dans sa recherche de volume, tout au long de sa carrière d’artiste : buste féminin d’un côté, moulé comme autant de sculpture, décliné seul ou en véritable série, en jouant de la répétition, de l’accumulation, suspendu dans les airs à un fil de nylon, comme autant de vagues qui se superposent dans l’espace, ou présenté en véritable tableau à la taille imposante et au relief heurté – « Magie blanche », « Magie noire » ; sculptures de petite taille, de l’autre, aux formes très abstraites ou presque anthropomorphes, à l’allure de moines de l’époque médiévale, mais que l’artiste elle-même entend appeler « Soo – sok », ou « pierre – paysage », à la manière de ces paysages des montagnes de diamant où les accumulations de rocher prennent parfois, au détour du pinceau de Chongson (1676-1759), une forme quasi humaine, suggérant une présence peut-être shamanique, une Nature habitée et paradoxalement vivante, derrière les apparences.
Par l’atelier du Centre Culturel Coréen, Kim Sang-lan a voulu faire partager la richesse de cette tradition du papier – richesse qui puise à l’adaptation originale qu’a su faire la Corée de cette invention à l’origine chinoise, en la développant selon sa sensibilité ; richesse d’une tradition qui reste très vivante, une tradition ouverte sur le monde d’aujourd’hui et qui se prête avec une merveilleuse souplesse à toutes les recherches les plus contemporaines, du design à la mode, à l’art de la parure, voire à une démarche de type purement plastique. Là encore, le papier reflète à sa manière l’esthétique propre à la péninsule – le goût des matériaux, de leur qualité brute et de leur vérité, qui en fait le côté naturel et toute l’humanité. Comptent avant tout la beauté de la matière et le jeu des couleurs, la souplesse de la fibre, la douceur au toucher, la résistance aussi, l’extrême simplicité – soit un matériau qui, comme le fil de soie, ou bien l’art du maedup, peut se décliner de 1000 et une façons, en suivant sa logique, pour explorer des mondes variés, des univers nouveaux. C’est le charme de l’atelier du Centre culturel, et aussi son succès, d’avoir su faire passer cet amour du papier, en permettant à chacun et chacune de créer ses propres réalisations, chacun selon ses goûts, en toute liberté, une liberté qui requiert néanmoins une infinie rigueur et une extrême patience.
Pierre CAMBON
7 avril 2015